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Mon cher journal,

J’ai toujours eu un immense respect, ainsi qu’une certaine admiration, pour ces athlètes qui passent des années à s’entraîner pour tenter de courir aussi vite que le fameux cheval dont il est de coutume de louer le galop au Mont-Saint-Michel, avec l’espoir de décrocher une médaille aux Jeux Olympiques. Il y a dans cette attitude quelque chose de fascinant. Ce sont des jours et des mois de travail et de privations, sans souvent en tirer une once de gloire. J’ai eu la chance de fréquenter le fameux Baron de Coubertin, Pierrot, comme il aimait qu’on l’appelât. Il eut la délicatesse de m’inviter en 1900 aux Jeux de Paris. Nous étions un peu pays, puisqu’il était de Mirville près du Havre et que je suis d’Évreux près de Foucrainville. Cela aurait pu suffire à nous rapprocher. En fait, ce fut le calva.

Il ne faut pas croire qu’organiser les Jeux dans la capitale à cette époque était une activité de tout repos. Il n’y avait pas les infrastructures que nous connaissons aujourd’hui. Pas de stades, pas de vélodrome, pas de piscines ! Faute de place, le marathon s’était couru autour du bac à sable du Jardin des Tuileries. Pour les mêmes raisons, le 100 mètres se déroula rue du Chat-qui-Pêche, sur sa plus importante largeur qui n’excède pas le mètre 80. Ce déficit d’espace avait obligé les bouillants sprinters à faire la course en solitaire, les uns après les autres ! Et comme les chronomètres étaient très rares et très onéreux, les juges mesurèrent la performance en comptant sur leurs doigts. Il y eut tellement de réclamations que Coubertin décida de donner la médaille d’or à tous les participants. Comme c’était le patron, personne n’osa élever la voix, mais le comité olympique faillit y laisser sa culotte ! Le 3000 steeple, par manque de moyens, eut lieu dans l’appartement du duc d’Enghien qui, depuis le 21 mars 1804, jour de son assassinat, avait cessé de l’occuper. Les coureurs franchissaient successivement la table de la salle à manger, le bac à douches, et la comtoise du salon. Le lancer de marteau n’en était encore qu’à son balbutiement. On lançait plus ordinairement la pierre à Dreyfus. Cette activité avait de nombreux adeptes, plus enragés les uns que les autres. Celui qui réussit à envoyer le capitaine de Paris à Cayenne l’emporta ! Mais là encore il y eut réclamation, et le jet fut annulé. Les éliminatoires du saut en hauteur se firent à la Tour Eiffel. Les concurrents sautaient du premier étage. Pour la finale, ils sautèrent d’un avion de Clément Ader aux ailes en papier de Chine et aux hélices en tiges de bambou. Aucun parachute digne de ce nom n’ayant encore fait ses preuves, on récompensa plus souvent le pilote que le sauteur. Les athlètes, entre deux courses, dormaient où ils le pouvaient. Les plus riches se payaient un coin de drap chez une célèbre horizontale, Liane de Pougy ou la Belle Otero. Mais les moins fortunés, de loin la majorité, cherchaient à se faire remarquer par les policiers moustachus qui les embarquaient. Ils passaient alors la nuit aux frais de la princesse sur la planche du commissariat, en compagnie des prostituées de bas étage. Cette année-là, on compta moins de médaillés que de victimes du tréponème pâle !

Paris n’ayant alors aucune piscine, les compétitions de natation se disputèrent dans le bassin du Palais-Royal, qui compte moins de trente centimètres de profondeur en son centre. Rapidement, on cessa de comptabiliser les coudes et les genoux écorchés à l’issue des épreuves, mais quelques journalistes notèrent une brusque abondance de borgnes chez les compétiteurs. Tout s’éclaira lorsqu’on découvrit que les enfants, qui avaient l’habitude de faire naviguer leurs ravissants petits voiliers dans cet espace, avaient été autorisés à poursuivre leurs activités pendant la compétition. Le plus surprenant fut sans nul doute le concours de plongeons acrobatiques, depuis le trampoline de dix mètres. Cette épreuve se déroula dans le même bassin du même jardin. Elle envoya la majorité des concurrents au cimetière. J’eus l’insigne honneur de porter moi-même la médaille d’or au vainqueur, tandis qu’il était encore à l’hôpital, sous perfusion, douze heures avant la mise en bière.

Il faut se souvenir qu’à l’époque, la Seine n’existait pas. Enfin si, elle existait ! Mais elle était beaucoup moins importante qu’aujourd’hui, et ne traversait que modestement la capitale. C’est le président de la République d’alors, monsieur Emile Loubet (dit « Le Nougat ») qui ordonna qu’on fasse des travaux conséquents afin qu’on puisse organiser les courses d’aviron. Des équipes de terrassiers munis de pelles, de pioches et de chapeaux rigolos, se relayèrent de jour et de nuit pendant des semaines pour creuser et cimenter le lit du fleuve et les berges. Les travaux d’excavation générèrent une invraisemblable quantité de terre, qui fut transportée à dos d’homme jusqu’au nord de la capitale pour l’édification d’une gigantesque butte, sur laquelle fut élevée une basilique de pierres blanches à la gloire de Saint Denis. Hélas, les tentatives de navigation sur cette butte s’avérèrent compliquées, et les compétitions nautiques furent abandonnées.

On compte généralement qu’à l’issue des Jeux Olympiques de Paris, il y eut parmi les participants douze borgnes, dix-huit morts par chute, quinze par noyade, vingt-huit bras cassés, quatre-vingt-seize blennorragies, et un scandale financier sans précédent dû à l’incroyable quantité de médailles d’or distribuées aux athlètes.

Le dopage au calva n’est aujourd’hui plus admis dans les compétitions, et comme Pierrot, je le regrette !